Recrutement et libertés académiques

Suite à une requête formulée par notre équipe et quelques autres élu·es, un conseil d’administration extraordinaire s’est tenu le 28 janvier dernier pour discuter de la loi de programmation de la recherche. Même si celle-ci est maintenant adoptée, l’ensemble des décrets n’est pas encore paru et leur publication peut changer substantiellement le texte. De plus, la mise en œuvre locale est amenée à largement varier. La bataille n’est donc pas totalement finie.

Nous reprenons ici quelques éléments de la discussion de la séance sans pour autant être exhaustifs.

La discussion a commencé par un rappel de la situation par Alain Fuchs. La loi a donc été votée et on attend une première salve de décrets au printemps avant une seconde à l’automne. Il y a encore des négociations en cours sur la qualification des Enseignants-Chercheurs (EC) et le devenir des personnes obtenant des Chairs Junior n’est pas encore actée. En effet, comme nous l’a rappelé Jean-Michel Verdier (EPHE), il a été envisagé pendant un temps que ces postes donnent ensuite droit à un poste de Professeur des universités. Cela ne semble plus à l’ordre du jour aujourd’hui ce qui est regretté. Affaire à suivre donc.

Le recrutement des enseignant·es-chercheur·se·s

Il semble que la position de la plus part des chef·fes d’établissement soit de « ne pas se prononcer sur ces postes pour le moment en raison du nombre d’incertitudes [qui entourent leur mise en place] » (A. Fuchs). En tout cas, personne n’a pris la parole pour s’opposer par principe à ce type de poste.

Un élu a rappelé que ce débat arrivait bien tard mais qu’il restait encore à savoir comment PSL comptait appliquer cette loi en cas de recrutement spécifique. Quelles seraient dans ce cas les dispositions régissant la composition des comités de recrutement ? Nous complétons cette interrogation en soulignant l’intérêt qu’il y aurait à avoir une position commune et claire du CA pour faire connaître notre avis aux membres de notre communauté, notamment sur le (non)usage de l’expérimentation de recrutement sans qualification pour les Maîtres de conférences (MCF). De plus, pourquoi ne rien dire sur la suppression de la qualification pour les Professeurs ?

Alain Fuchs défend que PSL n’a pas vocation à recruter en propre. Il y a qu’un seul Enseignant-Chercheur spécifiquement PSL à ce jour. Concernant les comités de sélection, ils continueront à être validés par les conseils d’administration des établissements-composantes mais, comme le souligne le conseil constitutionnel, le principe de l’évaluation nationale (en somme la qualification) n’est pas un principe fondamental.

Un certain nombre de membre du CA ne voit pas dans l’abandon de la qualification pour les MCF et les PR un changement de doctrine de recrutement, lecture contre laquelle nous sommes offusqués puisque c’est bien le principe d’une évaluation nationale, indépendante des établissements et préalable aux procédures mises en œuvre par ces derniers qui est abandonné avec ce texte. Cela ne constitue pas un mince changement.

El Mouhoub Mouhoud, nouveau président de l’université Paris Dauphine, rappelle les « règles de régulation localisée » mises en œuvre dans son établissement pour gérer les recrutements qui sortiraient des cadres nationaux, ce que permet déjà en partie la loi Libertés et Responsabilités des Universités. D’autres chefs d’établissement rappellent également qu’ils effectuent des recrutements sans qualification. C’est le cas à l’EPHE et des Mines. Bref, dans ce contexte, « pourquoi défendre un dispositif comme la qualification » nous disent en substance les membres du directoire ? Peut-être parce qu’on peut défendre ce que souhaitent les membres de notre communauté sans que cela remette en cause nos propres pratiques ? Cet argument ne les a pas convaincus.

Finalement la discussion a fini en eau de boudin. Pas de position commune pour soutenir le peu de cadres nationaux de régulation des recrutements d’EC, alors que la bataille n’est pas finie notamment sur la qualification pour les MCF. Une unique déclaration de principe à rester attentif aux décrets et aux conséquences de la LPR parce que c’est la stabilité de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui est en jeu selon A. Fuchs. Ce n’est pourtant pas vraiment cette impression qui ressortait de la discussion. Globalement nous avons vu des directeurs et directrices d’établissement assez assurées du caractère positif de cette loi.

Libertés académiques

Frédéric Vidal à l’Assemblée nationale le 19 janvier (Source : Le Monde).

Nous avons également cherché à mettre en discussion le devenir des libertés académiques en raison des interrogations et des craintes d’une partie de notre communauté à ce propos. Pour rappel, cela a commencé par différentes attaques – issue d’abord du gouvernement et notamment du ministre de l’Éducation nationale – contre certains travaux de sciences sociales développant des analyses dites « intersectionnelles » qui convergeraient avec l’islamisme politique et remettraient donc en cause les principes de la République (d’où le néologisme « islamo-gauchisme »). Cette polémique droitière ne prend évidemment pas le temps d’analyser les travaux mentionnés et n’avait uniquement pour vocation que de rendre légitime des attaques frontales contre la liberté de parole des universitaires. C’était déjà l’objectif de l’amendement 234 de la LPR – finalement retiré comme l’amendement – qui avait vocation à limiter les libertés académiques en précisant que celles-ci « s’exercent dans le respect des valeurs de la République. » Autrement dit, la liberté de penser devait être subordonnée à certaines valeurs politiques pour les sénateurs qui ont introduit cette amendement en catimini. Rappelons qu’aujourd’hui seul le droit pénal et le contrôle par les pairs est à même de réguler la parole académique, protégeant ainsi la liberté de penser sans pour autant tout autoriser. Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel en 1985 les chercheur.se.s et enseignant.e.s-chercheur.se.s jouissent « d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leur fonction d’enseignement et dans leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent […] les principes de tolérance et d’objectivité » comme le prévoit la loi. Si nous avons mis ce sujet sur la table c’est que des personnes de notre communauté sont directement attaquées par cette intrusion du pouvoir politique dans nos établissements et que notre liberté de parole – et donc le rôle sociétal des scientifiques – se trouverait largement transformée par de telle mesure et notre silence. Cette prise de parole n’a fait l’objet d’AUCUNE réaction. Cela fait froid dans le dos. Et pourtant aujourd’hui on peut voir notre ministre de tutelle prendre les pas de M. Blanquer et demander une enquête au CNRS sur l’islamogauchisme à l’université.

Rappelons également que notre ministre de tutelle a cherché à créer un nouveau délit pour réprimer les mouvements étudiants en commission mixte paritaire, c’est-à-dire dans la dernière extrémité de la procédure parlementaire relative à la LPR le 9 novembre 2020. Finalement cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel qui a considéré qu’il n’avait pas de lien direct ou indirect avec le texte initial (ce qu’on appelle en langage réglementaire un « cavalier législatif »). Bref, ce n’est que partie remise. La bataille pour les libertés académiques ne fait que commencer.